Article revu et complété, déjà paru dans Terres ardennaises n° 69, décembre 1999
Le 31 janvier 1943 paraît au Journal Officiel la loi n° 63, du 30 janvier, relative à la MILICE FRANCAISE. Elle est signée du chef du gouvernement, Pierre Laval. Les statuts de la Milice y sont annexés.
« Le Chef du gouvernement est le chef de la Milice française. La Milice française est administrée et dirigée par un secrétaire général nommé par le Chef du gouvernement. Le secrétaire général représente la Milice à l'égard des tiers » (article 2 de la loi).
Joseph Darnand (héros des deux guerres, chef du Service d’Ordre Légionnaire du maréchal Pétain dont est issue la Milice) en est nommé secrétaire général :
« Association de Français résolus à prendre une part active au redressement politique, social, économique, intellectuel et moral de la France » (article 1er des statuts de la Milice), elle a pour mission de « soutenir l'État nouveau par [son] action et de concourir au maintien de l'ordre intérieur » (art. 2 des statuts de la Milice);
soutenue par l'occupant, elle devient rapidement la police supplétive du régime.
La Milice est autorisée en zone Nord en janvier 1944, lorsque J. Darnand devient « Secrétaire général au maintien de l'ordre » dans le dernier gouvernement de Vichy. Son pouvoir ne connaissant plus de bornes, on a pu parler pour cette période (novembre 1943 - août 1944) d'« État milicien ».
Dans le nord de la France en général et dans les Ardennes en particulier, l'exode de 1940, le retour douloureux dans des foyers pillés, des villages dévastés, les terres confisquées, les difficultés liées à l'occupation, ne pouvaient entraîner la population à adhérer au principe de la collaboration. La Milice, émanation policière de cette politique ( définie par Pétain dans son allocution radiodiffusée du 30 octobre 1940, après sa rencontre avec Hitler à Montoire : « J'ai rencontré jeudi le chancelier du Reich [...]Une collaboration a été envisagée entre nos deux pays. J'en ai accepté le principe [...] J'entre aujourd'hui dans la voie de la collaboration [...]Cette collaboration doit être sincère [...]Cette politique est la mienne [...] C'est moi seul que l'histoire jugera »), ne pouvait s'attendre à y être bien accueillie et le recrutement ne donna pas les résultats escomptés. « La haine du Boche », qui tenait lieu de credo patriotique fut beaucoup plus forte que la supposée « bolchevisation » du pays en cas de défaite allemande, crainte sur laquelle les miliciens comme les autres groupes collaborationnistes fondaient toute leur propagande.
La section ardennaise de la Milice Française comprend environ 25 hommes, les « Francs Gardes ».
Elle est dirigée par un « secrétaire départemental » que les miliciens, par goût pour l’autorité, préfèrent nommer « Chef départemental ». Il est assisté de deux adjoints, qui, comme lui, sont des hommes jeunes (moins de 25 ans) et étrangers au département.
La Milice recrute dans le groupe qui lui est idéologiquement favorable, celui des partis collaborationnistes, essentiellement au Parti Populaire Français de Doriot, et au Rassemblement National Populaire de Déat. Ceux-là sont les « idéologues », le noyau des « purs et durs » qui forme l'encadrement du mouvement, quelques-uns sont même utilisés comme auxiliaires de la police de Sûreté allemande ( SIPO-SD à laquelle appartient la sinistre Gestapo). Viennent à elle aussi des jeunes marginaux, des déclassés sans véritable qualification professionnelle, attirés par la solde (équivalente à celle d'un agent de police), la « popote », et l'uniforme. Ceux-ci forment la majorité (en l'absence de liste nominative du personnel milicien, on ne peut que se livrer à des conjectures en fonction des rares sources disponibles). .
Elle est domiciliée au 45, rue de la République à Charleville.
Le 15 juin 1944, parution d'un article dans le Petit Ardennais, signé du chef de la Milice départementale, qui marque l'installation officielle du mouvement dans le département:
La Milice Française dans les Ardennes
- Deux mots à tout un chacun en guise de présentation -
« Je m'étais promis de vous parler, comme ça, d'un seul coup, du Chef de notre organisation,
de notre idéal, de notre lutte, de nos petites idées derrière la tête. Vous voyez ça d'ici,
le « grand machin définitif ».[...].
Pourtant, je ne pouvais installer la Milice sans tambour ni trompette, sans prendre contact, comme disent les beaux messieurs. Ne serait-ce que par politesse... On a beau être révolutionnaire, on a encore des principes.
Et puis, tant d'équivoques à dissiper avant même que de commencer, tant d'équivoques qui tourneraient vite au cafouillage irrémédiable.
La Milice ? Chacun l'a vue, au moins depuis six mois. Une véritable hantise...
A croire que la Milice est devenue une organisation occulte. Je sais qu'on ne prête qu'aux riches, mais que d'entourloupettes on commet au nom de la Milice.
Jusqu'à ce jour, la Milice française de Joseph Darnand n'a entrepris aucune action dans le département. Une fois pour toute, est-ce bien compris ? [...] ».
Intéressant à plus d'un titre, cet article nous permet d'appréhender les déceptions des zélateurs de la collaboration à l'été 1944 .
Propagandiste « révolutionnaire » mais « d'une révolution qui reste à faire », déçu par Pétain et l'échec de la Révolution Nationale, l'idéal révolutionnaire du milicien, comme de celui des autres militants collaborationnistes, est nourri au lait du fascisme et du national-socialisme.
Il est «venu mettre fin à un état d'anarchie ambiante [pour rétablir] l'ordre que nous voulons maintenir contre les communistes ».
Son credo: « ...contre le capitalisme et le marxisme. Hier, capitalisme et marxisme se ménageaient l'un et l'autre en secret. Aujourd'hui, ils sont ouvertement alliés ».
C'est pourquoi l'Allemagne nazie reste l'unique défenseur de « l'Europe nouvelle » et même de la civilisation occidentale.
Peut-être parce qu'il s'adresse aux ardennais, dans un département à forte tradition ouvrière, il insiste sur le côté populaire de la Milice, au risque de se dévoiler : « Je suis un fils de lampiste [...] un authentique « fils du peuple » [...] militant syndicaliste, je continue à la Milice le combat entrepris avant la guerre [car] je sais parfaitement que, depuis 40, les ouvriers sont à peu près les seuls à payer les pots cassés ».
Sur le plan social, il défend l’instrument de domination de la classe ouvrière qu’était la Charte du Travail,
inscrite dans le programme de la Révolution Nationale, jamais instaurée, ou si peu : « notre chef a situé admirablement dans les faits notre lutte, en faisant interner des patrons anti-sociaux (sic) dont les agissements tendaient à légitimer la propagande communiste ».
De toute façon, le projet politique reste inexistant : « Ce que nous voulons faire? Nous le savons parfaitement. Ce que nous ferons ? Chacun sera à même de l'apprécier ».
D'ailleurs la menace et la coercition tiennent lieu d'explication:
« En deux mots, comme en cent, les honnêtes gens n'ont rien à craindre de la Milice. Quant aux autres, nous sommes venus pour nous « expliquer » avec eux. Pourtant, si quelque chose ne vous a pas semblé très clair, nous sommes à votre disposition. Une franchise en vaut une autre. Venez donc nous confier vos angoisses, vos cauchemars, vos petits scrupules. Venez donc nous dire où le bât blesse. Nous verrons ça ensemble, les yeux dans les yeux.
En attendant, freinez un peu vos imaginations, ne dégoisez pas sur la Milice dans tous les coins, sans savoir ».
Qu'en pensent-ils, « les honnêtes gens », de la Milice ?
Ses méthodes de « maintien de l'ordre » - délation, perquisitions abusives, arrestations arbitraires, brutalités et exactions diverses - sont vivement critiquées. Quand on croise un milicien dans la rue, on s'écarte, et surtout, on se tait:
« M.J., entrepreneur à Charleville, relate que quelques jours avant la libération, il se trouvait en conversation au coin de la rue de Tivoli et du cours Briand avec MM. P. et F.. B. vint à passer, M.J. dit à ses amis: « Taisez-vous », B. l'entendit et quelques instants plus tard, ils étaient tous trois arrêtés par la Milice et conduits au bureau de celle-ci ».
On ne les aime pas, et, surtout, on ne veut leur reconnaître aucune légitimité, sinon celle des armes.
Un article du Petit Ardennais du 27 juin doit rappeler à la population les signes distinctifs des miliciens ( uniforme bleu et écusson à tête de bélier stylisée), et que « les francs-gardes n'agissent que sur les ordres personnels de leur supérieurs hiérarchiques ».
Il invite à se présenter, pour toute réclamation, au siège du mouvement, ce que l'on peut imaginer peu fréquent étant donné la réputation des miliciens. D'ailleurs, de nombreux incidents viennent émailler la vie carolopolitaine en cet été 44 :
- La nuit du 13 au 14 juillet, des miliciens ouvrent le feu et blessent le directeur adjoint de la société « L'Ardennaise » qui n'avait pas obtempéré assez vite aux injonctions des miliciens à fin de vérification d'identité et d'autorisation à circuler la nuit.
- Le 25 août, passage à tabac d'un badaud qui avait commis le crime de stationner trop longtemps devant les bureaux de la Milice... « Il attendait, vers 20 h 30, une madame X. qui était employée à des travaux ménagers au local de la Milice.... »
- Un soir, la Milice entre dans le cinéma de Charleville, interrompant la séance. Des gardes armés surveillent les issues pendant qu'un milicien contrôle les identités et fouille les spectateurs, à la recherche de « terroristes » .
- Le 28 juillet, sous prétexte de lutter contre le marché noir, une perquisition musclée a lieu dans les locaux du « Secours National ». Les locaux sont dévastés, l'affaire fait grand bruit. Le maire de Charleville, qui est aussi le président de cette œuvre caritative, alerte le préfet qui en appelle à son supérieur, le préfet de région. Quelques jours plus tard, le secrétaire départemental de la Milice affiche son mépris de ces autorités dans un article caustique du Petit Ardennais:
Charité bien ordonnée
Alors, comme ça, il parait qu'il y a des méchants qui disent du mal du Secours National
Même aussi qu' « on » dit ce qu' il ne fait pas et qu' « on » ne dit pas ce qu'il fait.
« On », disait mon professeur de français, « on » est un imbécile qui qualifie celui qui l'emploie.
Moi, curieux par nature, quand je veux être au courant des potins et des cancans,
je vais trouver ma concierge, Mame Nathalie Biglen Biais.
Vous pensez si elle en a des tuyaux sur le S.N.
- Parait que, dans les bureaux du S.N., sucre et farine se cachent
dans les corbeilles à papier.
- Paraît aussi que chocolats, biscuits, casse-croûte foisonnent dans les bureaux
que c'en est une véritable bénédiction!
- Paraît que, toujours et encore dans les bureaux, se trouvent des paquets
grands comme ça! (parfaitement, grands comme ça!) de biscuits caséinés
qui seraient certainement mieux à leur place dans les entrepôts avec leurs frères!
Vrai ou pas vrai, les assertions de Mame Nathalie Biglen Biais? « On » est un imbécile...
Un imbécile? Hum!
(Signé:) Le milicien de service.
Ainsi, les autorités traditionnelles se heurtent à l'arrogance et à la brutalité de la Milice qui, dans ses missions, apparaît totalement autonome. Les pouvoirs du chef régional de la Milice sont, en matière de police, en concurrence avec ceux des préfets, qu'ils soient de région ou du département (lois du 15 avril 1944). Dans une circulaire adressée le 18 mars à ceux-ci, le chef du gouvernement, Pierre Laval, souligne que « la Franc Garde de la Milice Française doit prendre une part croissante au maintien de l'ordre. Cette participation est particulièrement souhaitable à l'heure actuelle [...] Cette participation doit être obtenue soit sur l'initiative du Préfet Régional ou de l'Intendant de Police, soit sur l'initiative du chef régional de la Milice ».
Le maire de Charleville ayant protesté auprès du chef régional de la Milice contre l'agression d'un responsable de la Défense passive par des francs-gardes se voit répondre que les miliciens « accomplissent le service que les hommes de la Défense passive sont incapables de faire : cette tâche n’a été nullement entravée, mais au contraire faite comme elle ne l’a jamais été. Bien que cela vous déplaise, je continuerai d'assurer un certain service de sécurité. Je n'ai ni ordre ni avis à recevoir de vous, mais au contraire, dans certains cas, à vous en donner ».
Quant aux relations avec les forces de l'ordre, police et gendarmerie, elles seront quasi-inexistantes, les miliciens les jugeant, souvent à juste titre, suspectes de collusion avec la Résistance. La Milice préférera travailler avec la police allemande, avec laquelle elle se sent idéologiquement plus proche.
Mais c'est dans la lutte contre les maquis que se trouve justifiée l'existence de la Milice.
La politique allemande, en matière de police, était, depuis 1942, la mise sous tutelle de la police française, au bénéfice de la police allemande et de la S.S., les consignes de Himmler étant alors de « veiller à ce que les troupes stationnées sur les côtes aient le dos dégagé ». Seule la création d'une police dirigée par des hommes idéologiquement sûrs pouvait assurer aux troupes d'occupation une collaboration loyale et efficace. Avec Joseph Darnand, ils trouveront leur pandore.
Après le débarquement, ses ordres sont clairs: « Considérez comme des ennemis de la France les francs-tireurs et partisans, les membres de la prétendue armée secrète et ceux des groupements de résistance .Attaquez-vous aux saboteurs, qu'ils soient ou non parachutés. Traquez les traîtres qui essaient de saper le moral de nos formations ».
Dans les Ardennes, en cet été 1944, la Résistance est très présente, et on note une recrudescence des engagements après le débarquement. Depuis 1943, les réfractaires au STO (Service du travail obligatoire, qui envoyait les jeunes gens travailler en Allemagne), sont venus grossir les maquis pour fuir la réquisition.
La chasse aux réfractaires, qui est opérée par de grandes rafles soutenues par l'armée ou la police allemande, est apparemment l'activité qui est le plus reprochée aux miliciens lors de leur procès par la Cour de Justice à la libération. Ainsi de ce milicien qui « a reconnu précédemment avoir procédé à une dizaine d'expéditions dans la région de Rethel et participé à l'arrestation de 200 réfractaires du S.T.O » et de cet autre, qui a « participé à la chasse aux réfractaires du STO dans les régions de Givet et de Sedan». Elle s'accompagne parfois de la remise d'une prime, tel ce milicien et membre du R.N.P qui « vendait ses camarades pour 100, 200, 300 francs au maximum [à la police allemande] ».
La Résistance est d'autant plus active et présente que le chef de la Milice y fait référence dans son article du Petit Ardennais du 15 juin, sous la forme d'un avertissement, en gras dans le texte: « Pour un milicien qui tombera blessé ou touché à mort, les salopards du haut gratin de la résistance seront impitoyablement exécutés. Un cheveu de milicien, c’est sacré. N’y touchez pas ».
Et d'ajouter cette parole christique, étrange sous sa plume: « Ce que vous aurez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'aurez fait ».
Comme en réponse à cette diatribe, à la fin du mois de juillet, un milicien, Roger Gachet, est abattu par la Résistance à Givet (le 27 juillet).
Le chef milicien fait, dans l'édition du Petit Ardennais des 29-30 juillet un éloge funèbre du défunt sous le titre: « Le premier milicien des Ardennes mort au champ d'honneur. »
Comme souvent dans de telles circonstances, « (...) depuis longtemps notre camarade se savait menacé... ».
Le lendemain, le Petit Ardennais fait paraître un nouvel article qui dresse le portrait du disparu :
« Avant la guerre dans un parti d'extrême droite, depuis la guerre à nos côtés, il n'avait cessé de poursuivre de sa vindicte ces communistes et autres mauvais Français qu'il avait coutume d'appeler « les salopards ». Journaliste de talent, il avait usé de sa plume mordante pour stigmatiser les mauvais fonctionnaires et les corsaires du marché noir ».
De fait, et malgré la volonté de la Milice de faire de ce personnage un martyr de sa cause, son exécution ne visait pas à faire disparaître un milicien en tant que tel, mais elle visait plutôt l'agent de la police allemande qu'il était. C'est à ce titre qu'il fut exécuté sur décision des membres des réseaux de Résistance.
D'autres miliciens firent l'objet de représailles et de harcèlements de la part de la Résistance, même si l'issue de ces actions ne fut pas toujours aussi tragique: « J'étais recherché par la Gestapo et la Milice parce qu'un de ses membres d'Eteignières, M.G. et son épouse, venaient d'avoir de sérieux ennuis mais je n'avais pas participé au coup de main... ». Même si elle fut peu efficace, la Milice procéda à quelques arrestations de résistants. Dans un rapport au préfet daté du 17 août, le commissaire de police de Charleville rapporte que « sur ordre de M. le Chef Régional de la Milice Française, 7 personnes (5 hommes et 2 femmes) ont été écroués dans les geôles du commissariat sous l'inculpation de menées terroristes... ».
A la fin du mois d'août, l'avancée des alliés obligea au repli les troupes d'occupation et comme partout en France, la débâcle entraîna son lot d'atrocités.
A la veille de leur départ, le 29 août 1944, à Charleville, les Allemands sortirent de leurs geôles 13 patriotes détenus dans la prison de la place Carnot, sur la cinquantaine qui y étaient présents. Conduits au lieu-dit le Bois de la Rosière à Tournes, ils furent extraits des véhicules et abattus. On a souvent prétendu que la Milice avait appuyé la demande d'exécutions, assertion qu'à ce jour aucun élément n'est venu corroborer. Ce massacre fut décidé par une unité de la Gestapo d'Orléans alors stationnée à Charleville, en repli devant l'avance américaine, et en représailles de la destruction, par la Résistance, des véhicules qui devaient emmener les prisonniers vers l'Allemagne.
Le même jour, à Gaulier, des Français, soutenus par des troupes allemandes, dirigeaient une opération de répression contre le maquis local. Leur intervention aboutit au martyr et à l'exécution de nombreux patriotes.
Aujourd'hui encore on incrimine dans cette action la Milice, alors qu'il s'agissait en fait un « groupe d'action » du Parti franciste, armé par les Allemands à Fontainebleau et fuyant l'avance des armées alliées. Composée de 10 membres, jeunes exaltés et authentiques militants des partis collaborationnistes, « la bande au bossu » était dirigée par un officier S.S. de la Gestapo de Bourges, responsable, le mois précédent, du massacre de 36 personnes d'origine juive, à Saint-Amand-Montrond. Tous les responsables de ce sinistre groupe étaient certes français, mais tous les Français au service de l'occupant n'était pas miliciens, loin s'en faut. Aujourd'hui encore, le terme de « milicien » est employé sans distinction pour désigner tout collaborateur, et à plus forte raison tout collaborateur armé. Et pour compliquer la situation, soulignons que les partis collaborationnistes, pendant l'occupation, parfois même avant, avaient mis sur pied leurs propres milices, formations paramilitaires bien souvent issues de leurs services d'ordre (« Gardes Françaises » du P.P.F., « Légion nationale populaire » du R.N.P.).
A la mi-juin 1944, Fernand de Brinon, au nom du Comité Central de la « Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme », avait invité les légionnaires et les adhérents des « Amis de la Légion »,
« (...) ainsi que leurs familles, à se mettre à la disposition de Joseph Darnand, chef de la Milice ».
A mots couverts, il invitait les collaborateurs de tout poil et leurs familles, surtout leurs familles, à se placer sous la protection de la Milice ! Celle-ci devait, si les choses devaient tourner mal pour eux, et on savait déjà qu'elles allaient mal tourner, les protéger contre les représailles de la Résistance et les encadrer dans leur exode programmé vers l'est de la France, voir l'Allemagne. Si quelquefois, ailleurs en France, cette mobilisation eut bien lieu, on sait qu'il n'en fut rien pour notre département, et que le « chacun pour soi » prévalut...
Lorsque les Américains arrivent à Charleville au début du mois de septembre 1944, la plupart des collaborateurs ont fui, certains vers l'Allemagne dans les bagages de l'armée allemande, d'autres sont restés en France, tentant de passer, tant bien que mal, à travers les mailles du filet.
La Milice Française, sur ordre de Darnand, a rejoint Nancy (message radiodiffusé du 17 août), puis a passé la frontière pour aller s'installer à Ulm. Darnand rencontre alors Himmler et les deux hommes décident du devenir de la Milice:
-1/3 des miliciens sera maintenu sous la forme d'une unité de la Franc - Garde (qui restera à Sigmaringen, garde d'honneur désuète du vieux maréchal),
-1/3 ira travailler dans les usines du Reich et ira servir à l'encadrement des requis du STO,
-1/3 sera incorporé dans la division « Charlemagne » et ira combattre sur le front russe. Quelques-uns de ceux-ci, en avril 1945, seront les derniers défenseurs du bunker d'Adolf Hitler...
Après la guerre, mais aujourd'hui encore, la Milice cristallisa toutes les frustrations et toutes les hontes d'un engagement contre nature aux côtés de l'occupant. Si notre département fut relativement épargné par le phénomène collaborationniste, il faut se souvenir qu'ailleurs en France la Milice fut le vecteur de la guerre civile; qu'aux premiers jours de la libération des cours martiales hâtivement constituées ont jugé les « collabos » selon un seul critère, celui de l'appartenance ou non à la Milice. Le seul fait d'y avoir appartenu, et quelle que fut l'activité que l'on y avait déployé, entraînait automatiquement la peine de mort.
Trop peu d’hommes, trop peu de temps ; les capacités de nuisance de la Milice dans les Ardennes furent limitées. La Cour de justice des Ardennes jugea quelques miliciens. Le secrétaire de la Milice, condamné à mort par contumace par la Cour de justice des Ardennes fut condamné à 10 ans de prison après son arrestation au Maroc où il s'était réfugié en s'engageant dans la légion. Son chef départemental, Henri Pelandre, fut arrêté à Paris en juin 1945 et condamné à mort, puis gracié, par la Cour de justice de l’Oise le 18 juillet suivant (dans ce département, il avait été délégué départemental de la LVF de mars 1943 à mars 1944, avant de rejoindre les Ardennes). Jacques Zollikoffer, natif lui aussi de l’Oise, ami et adjoint de Pelandre, fut condamné à 5 années de prison après son retour d’Allemagne et son arrestation.