On a appris le décès récent de Robert Charton, à l’âge de 94 ans. On se souvient de lui : sur les pages de ce blog, j’avais récemment interpellé Yanny Hureaux sur la lecture qu’il proposait des événements des Manises, sur le rôle qu’y avait joué Charton en tant que chef de secteur de la Résistance à Revin.
J’avais dressé le curriculum vitae de Robert dans mon livre, L’affaire des Manises. Je le reprends ici.
Robert Charton est né le 14 août 1920 à Arreux, dans une famille modeste. Sa mère était d’origine belge, réfugiée de 1914 qui avait fini par s’installer dans la région. Le père, fils d’une famille d’agriculteurs de La Taillette avait embrassé la profession de douanier. Le couple s’installe à Renwez, puis à Fumay. C’est là que le jeune Robert suit sa scolarité et passe son Brevet en 1936, puis obtient un C.A.P. de menuiserie. Mais il se destine à la carrière des armes, et, en attendant d’être appelé sous les drapeaux, il est embauché dans une banque, la Société Générale, à Revin.
Lors de la mobilisation partielle de mars 1939, il s’engage au 155e Régiment d’Infanterie de forteresse à Mouzon. Le 24 août, c’est la guerre et conformément au plan de mobilisation, le 4e bataillon du 155e R.I.F. cantonné à Mouzon devient le 136e R.I.F. chargé de la défense du secteur de Carignan sur la rive gauche de la Chiers. Charton y est versé et prend du galon, en février 1940 il est promu caporal. La « drôle de guerre » s’achève brutalement. En mai et juin, c’est la campagne de France selon le plan de Blitzkrieg hitlérien. Devant le rouleau compresseur allemand, le 14 mai, le 136e R.I.F. se replie avec une double mission : protéger la ligne Maginot et couper la route de Verdun aux Allemands. La tenue au combat de Robert Charton lui vaut, fin mai, d’être désigné pour les cours d’aspirants qui devraient le voir accéder au rang de sous-officier. Mais le déroulement des combats en veut autrement. Le 15 juin, il est cité à l’ordre de la division, croix de guerre avec étoile d’argent. Puis c’est l’armistice. Á la fin du mois de juin, ils ne sont plus au 136e que 828 sur un effectif de 2 200…
Les Allemands récupèrent ce qu’il reste d’hommes valides. C’est la captivité qui commence. Les prisonniers sont emmenés. Pont-Saint-Vincent, Metz. Charton, devant la commission de contrôle allemande, déclare être cultivateur. Alors c’est le retour sur Sainte-Ménéhould, puis dans les Ardennes. Il est envoyé à Viel-Saint-Rémy en Kommando de culture, puis, malade, il entre à l’hôpital de Charleville. Á sa sortie, il rejoint le Frontstalag 190 en cette ville puis c’est le retour à Revin le 2 septembre 1940, en Kommando chargé de remettre en état le réseau électrique de la ville car, pour rentrer, il s’est cette fois déclaré électricien. Le 17 juillet 1941, il est mis en congé de captivité (Robert Charton est libéré en fonction des accords Scapini, qui permirent dès la fin de 1940 la libération de certains prisonniers de guerre). Il est alors embauché par l’entreprise Arthur Martin de Revin.
Ses débuts dans la résistance datent de cette période où il est captif en Kommando à Revin. Chargé du pointage de ses camarades, il se rend tous les jours à la mairie de la ville. C’est là qu’il va se procurer les cartes d’identité et les tickets d’alimentation nécessaires à l’évasion de six de ses compagnons d’infortune. Puis il continuera, aidant les prisonniers évadés à poursuivre leur route. Il va recruter des amis qui le seconderont dans cette tâche. Ceux-ci à leur tour recruteront dans les rangs de leurs connaissances suivant le principe des notes de musique : une blanche vaut deux noires, une noire vaut deux croches, etc. Mais les moyens sont dérisoires. Pas d’argent, pas d’armes, aucun matériel, surtout aucune formation aux actions de sabotage qui apparaissent nécessaires pour gripper la belle machine de guerre allemande. On s’en prend aux trains. On verse du sable dans les coussinets de wagons, on déboulonne les rails, on les écarte. Les débuts sont incertains, on manque d’expérience. Des rails trop écartés, et on coupe involontairement le circuit électrique, le signal se met au rouge, le train s’arrête… C’est à recommencer…
Après la formation de l’armée secrète en 1943, Marcel Delys, dit « Daniel », va contacter Robert Charton et son groupe et le placer sous son autorité. Charton devient alors chef de secteur de la Résistance à Revin (secteur E, zone II, région C). Cette reconnaissance pour le travail accompli s’accompagne d’une plus grande efficacité, et Charton prend contact avec ses voisins : Georges Peuble de Bourg-Fidèle, Émile Fontaine, chef du secteur Signy-l’Abbaye/Liart/Rozoy-sur-Serre, Marceau Devie, de Vireux, Miguel Sauvage, du Front national …
Il a vingt-deux ans, et dirige un des groupes de résistance les plus importants du département. En 1943, il fournit des cartes de travail et de ravitaillement aux réfractaires, fait évader des prisonniers Nord-africains, recèle des prisonniers et recueille des aviateurs américains. Sa tête est mise à prix par les Allemands. On l’estime à 200 000 francs. C’est plus qu’honorable.
Enfin, au printemps 1944, il prend contact avec la mission Citronelle qui s’est installée sur les hauteurs de Revin. Le reste, vous le connaissez, je l’ai raconté dans Le maquis des Manises.
Après la guerre, après sa sortie de prison, abandonné de ses camarades de combat, Robert Charton a continué son chemin, loin des Ardennes. Il vivait près de Saint-Dizier où je l’avais rencontré pour l’écriture de L’affaire des Manises. Il était revenu sur son parcours, avait évoqué dans le détail son rôle dans la Résistance, avait analysé, assez lucidement, l’injustice qui l’avait frappé.
J’avais rencontré Monsieur Charton au cours de l’année 2003, pour l’écriture de mon livre L’affaire des Manises. Nous avions préalablement engagé une longue correspondance dans laquelle il était revenu sur sa jeunesse, son parcours, où il avait évoqué dans le détail son rôle dans la Résistance, et avait analysé, assez lucidement, l’injustice qui l’avait frappé à la Libération. Je sais que le livre l’avait enthousiasmé puisque ses conclusions réhabilitaient totalement son action et lui rendait enfin publiquement justice. Que ce court billet rende hommage au résistant qu’il fut.
Photo F. Docq (2006)