Un fait presque identique s'est produit le lendemain 13 mai 40 à la ferme de la Faisanderie à Tagnon. Mathurin Loric n'a pas tué un parachutiste abattu, mais un agent de la « cinquième colonne » largué et tombé dans son jardin.
Ce 13 mai à 7h 30, Mathurin Loric qui vient de terminer le pansage de ses chevaux, sort de l'écurie pour aller prendre son petit déjeuner. Il est étonné de constater que le ciel, qui était bien bleu, est maintenant bizarrement couvert. Là-haut, au-dessus, les escadrilles de bombardiers allemands, comme depuis trois jours, vrombissent de plus belle. Le ciel ardennais est devenu un chaudron sonore. Tout en buvant son café, Mathurin écoute un bourdonnement incongru, plus grêle, un plus petit appareil tourne à l'aplomb de chez lui et il insiste. Il décroche son 12 chargé et sort. Crevant la voûte grise, un parachutiste tombe dans son potager, avant qu'il n'ait eu le temps de se récupérer, Mathurin est sur lui, l'homme a un geste vers sa ceinture, le fermier plus prompt a pressé la détente le touchant en pleine poitrine. Ce n'était pas un aviateur en difficulté que Mathurin venait de tuer, mais un agent de la « cinquième colonne ». Déjà, la préparation du largage par la diffusion de nuages artificiels, le fait qu'il soit en civil sous sa combinaison, qu'une moto de marque française plausiblement immatriculée le suive accrochée à un second parachute, tous ces éléments le prouvent.
Après son retour d'exode, Mathurin Loric, dénoncé par un forestier voisin, se défendit mordicus, mettant sur le compte de la jalousie cette dénonciation. Bien sûr, il eut maille à partir avec la police allemande dès septembre 1940, mais il bénéficia de circonstances favorables. En effet, le cadavre rigide de la veille fut récupéré sans discernement avec ceux du Heinkel 111 abattu le lendemain 14 mai à 10 heures du matin par l'armée et la prévôté française. Les deux parachutes et la moto ayant été enterrés sous un stock de bois dans une ancienne tranchée de 14-18, la police allemande n'ayant pu réunir toutes les pièces du puzzle, abandonna les poursuites contre Mathurin qui s'est heureusement tiré de cette affaire. Cette moto remise aux Domaines fut rachetée par mon père après la guerre. Ayant roulé dessus, je vous assure qu'elle avait du nerf.
Dans La bataille de Rethel (éditions Terres Ardennaises), citant un extrait du rapport d'étapes, Robert Marcy écrit :
- « 13 mai 40 à 7h 30, un parachutiste est aperçu descendant entre Acy-Romance et Tagnon. »
- « 14 mai 40 à 10 heures, combat aérien au-dessus de Rethel.»
Tout ceci corrobore bien mon récit.
J'ai assisté de visu à ce combat aérien, avec trois chasseurs anglais blancs et noirs, j'ai vu les cinq paras s'éjecter de l'avion, moteur droit en flamme. J'ai vu également le dernier appareil anglais faire demi-tour et mitrailler aux bout de leurs suspentes les cinq parachutistes qui sont allés se poser là-bas vers la Faisanderie, au-delà de Moinmont.
Mathurin Loric est devenu l'adjoint de mon père Charles Hamel au groupe « Lorraine » d'Avançon, il l'a remplacé après son arrestation pour espionnage le 25 avril 44, et c'est chez lui que je me suis réfugié après mon arrestation du 29 juin 44 et mon évasion de la prison de Rethel le 2 juillet 44.
Mathurin n'en avait pas fini de sitôt avec les Allemands puisque quinze jours après la libération, il eut encore affaire à eux, des traînards qui cherchaient à regagner leur lignes en forçant les fermes isolées à les ravitailler. Là encore, ils sont tombés sur un bec ! Deux à l'hôpital de Rethel et le troisième fait prisonnier rejoignant ses congénères au sous-sol du « Sanglier des Ardennes » (à Rethel) redevenu ardennais.
Je lui dois bien ce devoir de mémoire !
Marc HAMEL, le 6 juin 2007