J’ai appris le décès récent de René Delvaux, que j’avais souvent rencontré dans le cadre de ces recherches sur la Résistance, et qui m’avait accueilli, avec son épouse, Paulette, dans leur ferme du Petit Ban. La presse locale n’a pas consacré d'article à celui qui fut un véritable héros de la Résistance (je sais que ces superlatifs apparaissent suspects sinon outranciers, et je ne les utilise que rarement, et toujours à bon escient). Il était le dernier représentant encore en vie du maquis de Launois.
Fils d’un agriculteur de Viel-Saint-Rémy, René Delvaux est, avec Yvon Legroux et Paulin Brichet, le fondateur du maquis de Launois au printemps de 1943. Réfractaires au STO, les jeunes gens s’installent dans des cabanes dans les bois d’Hameuzy et dans les granges des villages environnants où ils trouvent de nombreuses complicités. Rapidement, la nouvelle de la formation d’un maquis destiné à aider les réfractaires se répand et, par l’intermédiaire de la préposée des Postes de Launois-sur-Vence, Mme Gazagnaire, s’établit une filière par laquelle de nombreux requis viennent s’adjoindre au noyau initial.
Pour nourrir les hommes, le maquis va se ravitailler au détriment des exploitations de la WOL dont les bêtes sont volées puis abattues, dont les champs sont récoltés nuitamment... Les mairies sont attaquées pour se procurer les précieux tickets d'alimentation, de même pour les bureaux de tabacs mis à contribution... Les agriculteurs, comme les commerçants de Launois (boulanger, épiciers…), apportent leur aide dans la mesure de leurs moyens : la solidarité s’organise autour de ces jeunes hommes qui refusent de se soumettre aux exigences de l’occupant.
« Maquis de Launois », installé sur le territoire de la commune de Viel-Saint-Rémy, au hameau d’Hameuzy. Que de localisations diverses pour ce maquis ! S’il est vrai qu’il changea souvent d’emplacement, pour des raisons de sécurité, René Delvaux, qui en fut tout de même à l’origine, ne l’appelait que le « maquis d’Hameuzy ».
Georges Matagne, responsable aux Jeunesses communistes de Villers-Semeuse, chef départemental du mouvement FTP (Francs-tireurs et partisans) vient rapidement organiser le maquis sur le plan militaire, notamment par l’initiation de ses membres à la confection et au maniement d’explosifs. En octobre, René Delvaux devient officiellement commandant du maquis. Les premiers sabotages sont réalisés : l'écluse d'Attigny saute, du matériel de la WOL est détruit ou saboté.
Au cours du mois de novembre 1943, des équipes réalisent huit sabotages contre les voies ferrées par déboulonnage des rails, méthode favorite des FTP : trois sur la ligne Sedan-Charleville, deux sur celle Hirson-Charleville, une sur la ligne Charleville-Givet, une sur la ligne Charleville-Rethel. C’est aussi au cours de mois de novembre qu’a lieu un accrochage avec les gendarmes de la brigade d’Asfeld à Bergnicourt. On sait que dans un échange de coups de feu, un gendarme fut tué. René Delvaux ayant participé à cette action, il m’en avait envoyé un récit très détaillé il y a quelques années. L’arme de service du gendarme sera retrouvée en possession d’un maquisard, René Isidore, arrêté à Mézières par la gendarmerie. Le jeune homme sera livré à la Gestapo et fusillé (ces épisodes ont été développés dans « Les Ardennais de la résignation à la résistance » dans L’affaire des Manises).
Dans la nuit du 15 décembre 1943, trois à quatre cents Allemands, informés par un dénonciateur, encerclent les bois du secteur. Les maquisards trouvés sur le terrain sont aussitôt arrêtés, les fermes environnantes sont méthodiquement fouillées. Les jours et les semaines suivantes, de vastes rafles auront lieu dans les villages, Launois, Viel Saint-Rémy, Dommery, les Allemands opérant de nombreuses arrestations dans la population.
Il y aura 13 fusillés et 11 déportés. Parmi ces derniers, le père de René Delvaux, qui fut déporté le 22 janvier 1944 vers le camp de concentration de Buchenwald. Transféré au camp de concentration de Mauthausen, il fut gazé gazé à Harteim (Kommando de Mauthausen) le 17 juillet 1944.
René Delvaux échappe aux Allemands. Sa tête mise à prix, il se cache, avec son camarade Marcel Picot, à Ecordal dans la ferme de la famille Sagnet qui participe à l’hébergement et à l’évacuation d’évasions d’aviateurs alliés. Nous avons déjà parlé de cet épisode (à la Libération, René rentré dans les Ardennes épousa Paulette Sagnet, qui avait échappé à la rafle menée par la Gestapo à la ferme et l’avait rejoint dans l’Aisne où elle était devenue agent de liaison des FTP).
Après les arrestations de Picot et celle de la famille Sagnet le 1er avril 1944, René quitte le département pour suivre Georges Matagne dans l’Aisne où les deux hommes poursuivront la lutte au sein des FTP ; Matagne prenant la direction des opérations militaires pour ce département, René étant nommé chef du secteur de Bohain-Ribemont où il organisera des groupes de combat, puis participera à la libération du département avec le maquis de Mennevret.
État des services de René Delvaux dans les Ardennes
(d’après l’attestation produite du 9 avril 1958)
Transports d’armes et de munitions à destination du maquis depuis Saint-Germainmont
Sabotage de l’écluse d’Attigny
Sabotage de l’écluse de Bignicourt (Aisne)
3 sabotages de voie ferrée à Donchery
1 sabotage de voie ferrée à Monthermé
2 sabotages de voie ferrée à Liart
1 sabotage de voie ferrée à Faux
Destruction d’une batteuse et d’un tracteur appartenant à la WOL à Librecy
2 récupérations de cartes d’alimentation
2 sabotages de voie ferrée à Faux et à Saulces-Monclin après l’attaque du maquis de Launois.
Monument aux morts de Viel-Saint-Rémy. Deux stèles de part et d'autre portent les noms des victimes de la répression allemande de décembre 1943.
L'Ardennais du 28 février 2009