La Société d’histoire des Ardennes publie le travail de recherche d’Antony Dussart consacré à un ardennais méconnu, lancé dans le combat politique dans les années 30, résistant durant l’Occupation, revenu à ses premières amours après la Libération dans les rangs du poujadisme et de l’extrême-droite la plus nauséabonde.
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Antony Dussart dresse un portrait fascinant de ce personnage haut en couleur.
Né en 1897 à Rethel, dans une famille aisée d’agriculteurs et de commerçants, Léon Dupont avait été prisonnier des Allemands durant la Première Guerre, comme tous les hommes qui n’étaient pas mobilisés et qui n’avaient pas fuis à temps lors de l’invasion allemande. Il s’était évadé en passant par la Hollande en mai 1918 et s’était engagé au 91e RI de Mézières.
Au cours des années 1920, il se construisit un patrimoine en s’installant d’abord à Biermes, fonda foyer, et, riche propriétaire terrien, affirma sa position de notable dans le Rethélois. Les années 30 furent marquées par son engagement dans la politique et la lutte syndicale. Désireux de défendre les intérêts professionnels des agriculteurs, mais aussi (et surtout) d’assoir son prestige, il fonda un parti populiste paysan de droite, « la Fédération agraire ardennaise », dans lequel il se distingua par ses outrances verbales, sa diatribe grossière, ses propos vindicatifs et sa violence. Il s’aliéna rapidement l’antipathie des élus et des notables. Fort en gueule, il haranguait les foules paysannes, cristallisait les mécontentements au cours de réunions épiques, mais ses candidatures répétées aux élections locales et à la chambre professionnelle des Ardennes ne furent jamais que des échecs cuisants.
Passons provisoirement sur les années d’Occupation. À la Libération, il rejoint le RPF mais s’en détourne rapidement pour rallier Pierre Poujade au sein de l’UDAF (« Union de défense des agriculteurs de France »). Il trouva dans le poujadisme un exutoire à ses vieilles lubies : lutte contre l’Etat et l’omniprésence de l’administration qui portait préjudice selon lui aux affaires économiques du monde agricole, renouveau de la France contre la trahison des élites et du pouvoir. Sa personnalité se radicalisa, devint plus dure et plus violente, se teintant de xénophobie, de racisme et d’antisémitisme. À tel point qu’il fut exclu du mouvement Poujade eu début de 1956. Il n’abandonna pas le combat politique en fondant l’éphémère journal « Chevrotine » avec pour compagnon d’anciens collabos et d’ex-miliciens. Il est décédé en 1960 et est enterré à Rethel.
Aussi peu sympathique qu’il apparaisse dans ses combats politiques et syndicaux, autant l’homme qui s’engagea dès 1940 dans la Résistance force l’admiration.
En mai 1940, l’invasion allemande obligea la famille Dupont à fuir. Elle se réfugia dans l’Indre, puis dans le Puy-de-Dôme, en zone non-occupée, à deux pas de Vichy, où Léon Dupont avait fait l’acquisition de vastes domaines agricoles dont l’un, la ferme de la Rapine, devint rapidement un centre opérationnel de la Résistance, abritant du matériel de guerre, hébergeant des illégaux, des opérateurs radio. Engagé dans un premier temps au sein du réseau Alliance, en lien avec d’autres mouvements et réseaux, Léon Dupont fut engagé par son fondateur dans le réseau Mithridate au printemps de 1943.
Mithridate avait été fondé dès juin 1940 par Pierre Herbinger (alias « Colonel Bressac ») à la requête du service britannique de renseignement. Réseau de renseignements militaires, il était chargé de fournir aux états-majors les indications nécessaires pour précéder ou accompagner les opérations de guerre.
Léon Dupont participa à un grand nombre d’opérations menées par le réseau. Devenu adjoint du colonel Bressac, il put, grâce à ses exploitations, fournir au réseau et aux maquis environnants le ravitaillement nécessaire pour nourrir les hommes ; il mit sa fortune personnelle au service de la Résistance dans l’achat de matériels. Enlevé par Lysander, il se rendit deux fois à Londres à l’appel de ses chefs. Il échappa plusieurs fois aux arrestations, notamment en octobre 1943 quand, suite à une trahison, la police allemande décida d’en finir avec ce réseau insaisissable. Réfugié à Paris, puis à Nancy, Léon Dupont persévéra dans l’action jusqu’aux jours de la Libération.
Résistant reconnu et plusieurs fois décoré (croix de guerre avec palme, chevalier de la Légion d’honneur, médaille de la Résistance), son parcours est d’autant plus surprenant qu’il tranche radicalement avec celui de l’agitateur politique des années d’avant et d’après-guerre.
Dans un long article intitulé « Pages de la Résistance ardennaise » paru dans la revue ardennaise La Grive d’octobre 1945, Gustave Gobert, écrivait à propos de la résistance de Léon Dupont (j'en extrait ici le début et la fin) : « Écoutez maintenant cette histoire ; vous ne lirez pas mieux, je crois, dans les récits imaginés par les romanciers du 2e Bureau […] Maintenant il conduit son tracteur et moissonne son blé. Et voilà ce qu’a fait un paysan de chez nous ! » Avec son livre, Antony Dussart révèle une personnalité ardennaise méconnue riche et complexe, à la fois haïssable et admirable.
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Léon Dupont à la Libération (doc. A. Dussart)
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La SHA vient de publier aussi deux revues consacrées à la guerre de 1870
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