En conclusion aux chapitres développés dans les derniers articles, on me permettra quelques remarques sur la composition de la liste des personnes inscrites à Berthaucourt, qui nous interroge sur la notion de « résistant » telle qu'elle fut comprise par les FFI ardennais en leur temps ; et sur le monument lui-même, sa destination et son avenir comme lieu de mémoire de la répression allemande lors de l'Occupation. Ces quelques réflexions, succinctes, seront développées dans l'article à paraître dans la Revue historique ardennaise.
Des lacunes flagrantes dans la composition de la liste des inscrits à Berthaucourt :
Lily BAUER, née KLEIN le 16 février 1904 à Budapest. Juive, de nationalité hongroise, elle travaillait dans les colonies agricoles de la WOL à Remaucourt. Échappée de la rafle de janvier 1944 avec Robert PAL, ils furent arrêtés par la Feldgendarmerie à Doumely-Begny le 6 juillet 1944, au motif de « nationalité juive », et emprisonnés à Rethel puis à Charleville. Tous deux furent fusillés à Tournes le 29 août 1944. Lily BAUER est la seule fusillée de Tournes dont le nom ne figure pas sur le monument de Berthaucourt, alors que celui de Robert PAL est inscrit. Fut-il plus « résistant » qu'elle ?
Deux noms des fusillés de Gaulier du 29 août 1944 manquent : CHOINET Michel et André BOIS...
BERNIER Roland, né le 22 décembre 1924 à Novion-Porcien, domicilié à Saivres (Deux-Sèvres), FTP, fut arrêté avec Batonnier et Fritsch, comme eux fusillé à Biard le 4 mai 1944. Il n'est pas inscrit à Berthaucourt...
André COIN et André SCHMITT, furent tous deux abattus par leurs gardiens allemands à hauteur du village de Faux, sur le monument au mort duquel ils figurent, lors d'une tentative d'évasion du transport du 17 janvier 1944 à destination du camp de concentration de Buchenwald. Leurs noms ne sont pas inscrits à Berthaucourt...
Jules Fuzellier, syndicaliste et maire communiste de Joigny-sur-Meuse et Jean Lelarge furent arrêtés le 23 août 1941 par la police française après une grande distribution de tracts dans les rue de Charleville, condamnés à la prison par la cour spéciale de Nancy, saisis comme otages par les Allemands et fusillés, l'un à Caen le 14 février 1942, l'autre à Ville-sous-Ferté le 31 mars 1942. Aucun des deux n'est inscrit à Berthaucourt ! Que penser aussi de l'absence sur la pierre de Berthaucourt de Lucien SAMPAIX, ancien ouvrier métallurgiste de Sedan, fervent militant communiste et syndicaliste, secrétaire général du journal l'Humanité, fusillé à la prison de Caen le 15 décembre 1941 ?

Jules Fuzellier
Omission involontaire ou choix délibéré ? La commission de l'UAFFI distingua les victimes arrêtées « pour leurs opinions » de celles pour « résistance à l'occupant », distinction classique, mais me semble-t-il obsolète, qui veut séparer les « politiques » des « résistants ». Cette conception trouve écho dans un article de la Revue historique ardennaise, publié en 1979, de l'historien de la Résistance ardennaise Jacques Vadon, qui écrivait à ce sujet : « La commission responsable n'a voulu faire inscrire que les noms de ceux qui avaient effectivement décidé, après mûre réflexion, de chercher à nuire à l'occupant, la réputation ou le nom ne suffisant pas pour avoir droit automatiquement au titre de Résistant, non plus que le fait d'avoir été, dans le passé, un militant syndicaliste ou politique. »
On peut légitimement aussi se demander pourquoi de tous les militants communistes inscrits à Berthaucourt pour l'organisation et leur participation à la manifestation contre les départs au STO en gare de Sedan le 3 mars 1943, seuls Marius GENOT (décédé le 17 mai 1945 au camp de concentration de Dachau) et Paul DUBOIS (décédé au camp de concentration de Sachsenhausen) sont absents de la liste de Berthaucourt ?
Pourquoi Lucien Harancot, arrêté le 25 juillet 1941 à Sedan à la suite d'une distribution de tracts et décédé au camp de concentration de Buchenwald le 17 janvier 1944, fut-il lui aussi omis de la liste des résistants ?
Même question pour les personnes suivantes, arrêtées par la police allemande le 19 octobre 1941 pour « activité communiste » :
JURION Julien, décédé au camp de concentration d'Auschwitz le 29 octobre 1942, ou TRESEUX Ernest, décédé dans le même camp le 4 novembre 1942.
Ou celles-ci, arrêtées par la Gestapo, pour le même motif, le 19 mai 1942 :
NAVIAUX Emile, décédé le 1er avril 1945 au camp de concentration de Buchenwald ; BOUILLARD Louis, décédé le 28 avril 1943 au camp de concentration d'Oranienbourg ; RAVAUX (ép. Bouillard) Léona, décédée au camp de concentration d'Auschwitz le 15 février 1943 ; POLET André, décédé au camp de concentration de Flossenbürg le 6 mars 1944...

Quelle raison pour ces choix ?
On remarquera par ailleurs que parmi les inscrits de Berthaucourt figurent au moins deux personnes dont les motifs d'arrestation par les autorités, françaises ou allemandes, relèvent de crimes de droit commun et non de faits de résistance (ce que démontre leur dossier judiciaire que la commission de l'UAFFI en charge des inscriptions n'avait sans doute pas consulté).
En outre, il convient de noter que le monument de Berthaucourt comporte les noms des maquisards tués lors de l'attaque allemande du maquis des Ardennes les 12 et 13 juin 1944. L'un d'eux est inscrit deux fois à Berthaucourt, MENU Pierre et MENU André n'étant qu'une seul et même personne (MENU Pierre André Jean, natif de Fumay, voir l'acte de décès communiqué par la mairie de Fumay), inscrite avec le prénom « Pierre » au monument de Revin, mais avec le prénom « Jean » au monument aux morts de Fumay...
Il n'y a donc pas 506 personnes inscrites au Mémorial de Berthaucourt mais bien 505...
Enfin, et pour en terminer, ne devrait-on pas aujourd'hui, considérer le Mémorial comme porteur de la mémoire de toutes les victimes par mesure de répression sous l'Occupation ?
Le cas des massacrés d'Hargnies me paraît emblématique. Le 5 septembre 1944 dans l'après-midi, une colonne allemande en repli devant l'avance des troupes américaines s'est arrêtée dans ce village pour s'y livrer à des atrocités contre les habitants : 13 personnes ont été tuées par explosions, par balles, ou par armes blanches, 3 furent grièvement blessées, 30 immeubles furent incendiés... Selon le rapport de gendarmerie dressé le 27 octobre 1944 par la brigade de Vireux, ces brutalités relèvent « d'une sorte de vengeance contre ce pays, en raison du maquis des Ardennes qui avait longtemps existé dans les parages. »
Un scénario que l'on connaît pour Oradour-sur-Glane, et plus proche de nous géographiquement pour le village de Tavaux (Aisne), qui furent considérés comme de communes martyres et pour cette raison décorées de la Médaille de la Résistance.
Alors que les massacrés d'Hargnies n'ont pas de place au Mémorial de Berthaucourt...
Combien d'autres victimes de ces exactions commises dans les journées de la libération pourraient prétendre à une inscription sur ce monument ?
Malgré les réticences, exprimées à plusieurs reprises par l'actuel président de l'UAFFI sur le sujet, il apparaît donc indispensable de mener une profonde réflexion sur la mémoire de la Résistance dans notre département et sur la place que va y occuper, de plus en plus, avec la disparition des derniers témoins et des derniers acteurs, le Mémorial de Berthaucourt.
Sa vocation mémorielle, mais aussi pédagogique, pourrait être élargie à l'ensemble des victimes de la répression allemande, voire aux victimes par mesure de persécution, ouvrant ainsi à une véritable intelligence du bilan, historique et humain, des années d'occupation dans les Ardennes.
Principales sources :
UAFFI, deux listes partielles des noms inscrits à Berthaucourt.
Archives départementales des Ardennes : « Cabinet du préfet, dossiers des personnes arrêtés par les autorités allemandes », 1 W 42-55
Renseignements fournis par la Direction de la Mémoire, du patrimoine et des archives, bureau des victimes des conflits contemporains, BP 552, 14037 CAEN cedex
commenter cet article …